Catégorie
ExpositionsDate
Du jeudi 6 novembre 2025 au samedi 20 décembre 2025
Début
13h00
Lieu
Mi-lieu de l'abcDurée
05:00
EN PASSAGE
Depuis mon arrivée en France, les différences culturelles et les modes de vie n’ont cessé de me pousser à me regarder en arrière : comment me suis-je construite ? Où se trouve ma maison ? Quel est le lieu auquel j’appartiens vraiment ?
Même si la politique de l’enfant unique en Chine date de plusieurs années, elle a
marqué mon enfance. En tant que deuxième enfant né illégalement, chaque fois que je retournais dans mon village natal, je devais me cacher dans le coffre de la voiture pour échapper aux amendes de la police et aux dénonciations des voisins. à l’époque de mes parents, avoir un deuxième enfant était généralement une tentative d’avoir un garçon, car seuls les garçons pouvaient hériter et perpétuer la lignée. Les gens prenaient le risque d’avoir un troisième ou même un quatrième enfant, jusqu’à ce qu’ils aient un garçon. Ainsi, parmi mes pairs, il n’était pas rare de voir des garçons avec trois ou quatre sœurs. Comme toutes les femmes de cette époque, j’ai été façonnée pour une existence marginale, un simple chemin pour atteindre un but.
Dans cette pièce les objets éphémères , j’utilise des cartons et des cagettes
récupérés dans la rue comme socles, donnant à ces objets-souvenir, qui risquent
d’être jetés et qui n’ont pas de place, un emplacement. En même temps, je fais
référence à la cagette, qui partage le même sort que mes objets personnels, voire ma propre identité. En effet, la cagette existe pour être utilisée dans le transport, et une fois la destination atteinte, elle est jetée. Elle existe simplement pour le parcours, tout comme ces sœurs qui existent pour permettre la naissance du frère.
Comparé à la Chine, la conscience féministe est bien plus enracinée en France. Ainsi,
lorsque j’ai abordé le féminisme ici, cela m’a d’abord fait peur, car les générations de féministes ont œuvré pour se libérer de l’objectification patriarcale, pour récupérer leur espace et devenir des sujets. J’ai ressenti que j’étais immergée trop longtemps dans une société patriarcale, et j’avais pris l’habitude de me voir comme un objet.
Pendant longtemps, j’ai craint d’être perçue comme l’ennemie du féminisme et j’avais honte de m’exprimer publiquement.
Dans The Wretched of the Screen de Hito Steyerl, l’autrice écrit dans le chapitre « Plaidoyer pour l’image faible », que dans la hiérarchie des images, celles de basse résolution et les images copiées sont souvent perçues comme des annexes de l’image originale en haute définition, comme des « images faibles ». Hito prend leur défense et fait glisser la réflexion vers le féminisme, en soulignant que la position du sujet implique toujours une forme de contrôle, tout en demeurant soumise à des relations de pouvoir. Elle interroge : pourquoi ne pas changer de position et se placer du côté de l’objet ? Pourquoi ne pas affirmer l’existence de l’objet ? Pourquoi ne pas accepter d’être un objet — un objet sans sujet ?
Comme le souligne Julia Kristeva, le féminisme ne consiste pas à « conquérir la
subjectivité », mais à déconstruire la logique même du sujet. Il s’agit de réécrire
l’identité, plutôt que de s’inscrire dans une position de sujet façonnée par le centre masculin. Devenir un objet sans sujet signifie adopter une manière d’exister échappant à la structure patriarcale : refuser la linéarité, la hiérarchie, les dualismes, et proposer à la place un mode d’être plus diffus, souple et polycentrique, qui s’accorde davantage avec la pensée féministe.
Hélène Cixous écrit dans L’Heure de Clarice Lispector : « Il y a des femmes qui
parlent pour veiller et pour sauver, non pas pour attraper, avec des voix
presqu’invisibles, attentives et précises comme des doigts virtuoses, et rapides
comme des becs d’oiseaux, mais pas pour saisir et dire, des voix pour rester tout
près des choses, comme leur ombre lumineuse, pour réfléchir et protéger les choses qui sont toujours aussi délicates que les nouveaux-nés. »
la pensée féministe d’aujourd’hui m’a ainsi permis de regarder d’un autre œil cette identité « non-sujet » et a renforcé ma position : raconter, depuis l’intérieur d’un corps sensible, les formes de répression qui s’y sont inscrites, et faire entendre, par l’expérience personnelle, la voix du lieu que j’occupe.
Après avoir étudié l’espace d’exposition situé au 4 Passage Darcy, j’ai choisi de
présenter mes deux pièces de diplôme : Les objets éphémères et La garde-robe
familiale. Ces deux pièces accompagnent mes réflexions sur l’exploration et la
construction de mon identité. Comme je l’ai évoqué précédemment, je conçois cette identité comme celle d’un « objet sans sujet », une existence en chemin — ce qui résonne justement avec la situation de l’exposition au sein d’un passage. C’est pourquoi j’ai nommé cette exposition « En passage », afin de donner une voix à celles et ceux qui, tels des « objets sans sujet », existent en route, sans rechercher une destination finale.